Le vertige c’est une angoisse, un état d’égarement, une folie passagère. Ce sont les hommes qui tournent en rond, pris au piège de Pointe-à-Pitre, ville labyrinthe. Ils la traversent en marchant retournant dans les mêmes lieux comme un pèlerinage sans fin. Longtemps, Eddy l’a arpenté jour et nuit.
Je raconte Pointe-à-Pitre, les métamorphoses de cette ville qui a été celle du peuple des ouvriers, des révoltes écrasées dans le sang. Elle n’est plus qu’une ville fantôme.
Et pourtant n’y a-t-il pas encore quelque chose qui résiste au rythme effréné des mutations, qui persiste dans les souvenirs des indépendantistes déchus comme Ti Chal, dans le silence de Kanpèch qui fut ouvrier à la Darse et qui aujourd’hui, y retourne pour proposer ses services en tant qu’écailleur de poissons.
Voyants ancrés dans une ville qui vacille, détenteurs d’une mémoire enfouie dans les replis de leurs silences ou les méandres de leurs voix intérieures, les personnages que je filme sont suspendus au bord du gouffre de la ville, au bord du chaos du monde. Ils deviennent mes points d’ancrage, je les rejoins, je les écoute, je me glisse dans leurs pas et plonge dans leur regard.
Leur vertige est le nôtre.
Malaury Eloi Paisley
Malaury Eloi Paisley
Cinéaste et artiste visuelle. Malaury Eloi Paisley, vit et travaille en Guadeloupe, territoire dit français dans la Caraïbe.
Banlieue et monde, banlieue‑monde
Comme je le pense à propos de Soleil Ô de Med Hondo, le cri impose à l’image différents mouvements de caméra, il demande, pour être traduit, un montage particulier. Il est peut-être la tentative de fabriquer à l’écran une image-vertige qui puisse figurer le sentiment de dépossession d’un personnage ou encore le « bourlinguement » d’un paysage. Dans le film L’homme-vertige, l’image-vertige représenterait l’étrange durée d’une terre et de corps colonisés qui, bien que là, bien que présents, s’évaporent. Rendre compte de la durée d’une chose qui disparait et qui raconte sa propre disparition, là est peut-être tout l’enjeu du film de Malaury Eloi Pasley (œuvre qui m’a profondément marqué). Ce long-métrage nous parle d’une ville, Pointe-à-Pitre, et de ses habitants. Il nous raconte ce que la Guadeloupe est devenue après l’échec de la départementalisation de 1946 et la faillite des mouvements nationalistes et indépendantistes qui tentèrent, de 1959 à 1989, de répondre à ce fiasco. Ce film nous parle des vies colonisées guadeloupéennes qui encore aujourd’hui cherchent à survivre à ces défaites et au crépuscule des épopées.